Licence mobile de Free; point d'étape

Depuis plus d'un an maintenant[1], je me suis hasardé à un exercice de prospective qui ressemble un peu à un pari sur ce que Free allait bien pouvoir faire de cette licence de téléphonie mobile, obtenue face à une opposition énorme du triumvirat d'opérateurs en place (et d'un Président de la République qui aurait du rester au dessus de ça) à un prix certes moins élevé que celles précédemment octroyées, mais quand même.

L'annonce du lancement de la nouvelle FreeBox V6 "Révolution", moins d'un mois après celle de son concurrent SFR, a fait couler beaucoup d'encre tant le décalage entre la vision de notre proche futur numérique diffère entre Free et les autres[2].

Nombreux sont les articles pour détailler autant les caractéristiques techniques du matériel que celles de l'offre commerciale, s'attardant soit sur la présence d'un lecteur BlueRay Disc, ou celle d'un NAS assez conséquent, certainement suffisant pour les usages courant de stockage partagé au sein d'un foyer, soit sur l'arrivée d'une boutique de jeux en ligne.

C'est certes très bien, mais de toutes ces annonces, somme toute logiques venant de Free, je retiens particulièrement l'offre relative aux appels gratuits illimités vers les mobiles de tous les opérateurs depuis la Freebox. Elle conforte ma vision de ce que Free Mobile prépare pour 2012; voici pourquoi.

Pour ceux qui ont connu la téléphonie mobile à l'époque où les tarifs étaient variables en fonction des opérateurs des deux correspondants, avant de voir ce 'communautarisme' disparaitre; ou qui se souviennent de la guerre du tarifs de la terminaison d'appel pour le fixe, initiée par Free d'ailleurs, qui a abouti à ce que tous les appels vers les numéros 'normaux' soient ... gratuits, ou du moins inclus dans le forfait de façon illimitée; cette nouvelle offre semble faite pour changer fortement certaines habitudes. Un peu comme pour commencer à expliquer : "Ce qu'on vous vend ailleurs très cher n'a quasiment pas de valeur", on ne va pas vous le faire payer, c'est inclus dans le forfait.

Petite parenthèse, savez-vous ce qu'est un compte SIP[3] ?
Disons pour simplifier que c'est un numéro de téléphone grâce auquel vous pouvez sortir d'internet pour rejoindre le réseau de téléphonie classique. C'est une sorte d'interface entre la VOIP (Voix sur IP, c'est à dire entre deux terminaux raccordés à l'Internet) et les réseaux voix des opérateurs téléphoniques, comme les réseaux analogiques (paires de cuivre de France Telecom) ou mobiles (réseaux GSM).

Des opérateurs (OVH, ippi, et d'autres) proposent ce service et vous facturent les communications sortantes, chacun selon sa grille tarifaire. Dans son forfait d'abonnement internet, Free intègre ce service pour ses clients; la grille tarifaire étant celle de son offre de téléphonie.

En terme d'usage, cela me permet, une fois raccordé à Internet (depuis un wifi gratuit dans un hôtel par exemple) de téléphoner comme si mes appels téléphoniques 'sortaient' de ma Freebox. J'utilise Twinkle pour appeler quand je suis en déplacement. Et quand j'utilise ce programme et le compte SIP de Free pour cela (plutôt que le trop bien connu Skype), mes appels téléphoniques semblent venir de ma Freebox (présentation du numéro) et sont facturés pareil. Autant dire que, vers les fixes, ils sont déjà quasiment tous gratuits; et bientôt, ce sera pareil vers les mobiles de tous les opérateurs[4].

Si des applications existent déjà pour les ordinateurs classiques, fixes ou portable, qui permettent d'utiliser cette fonction; on trouve maintenant leur équivalent sur les smartphones.

Prenons l'exemple de Sipdroid, application pour smartphone Android; son principe est d'utiliser le réseau le plus proche, Wifi ou GSM (c'est configurable), pour 'entrer' sur internet et établir une liaison VOIP (un appel téléphonique) qui 'sort' d'Internet grâce à un compte SIP. Pour le moment, les contrats des opérateurs excluent l'usage du réseau GSM pour entrer sur internet dans le but d'établir une liaison VOIP; l'interdiction étant purement commerciale, il n'y a pas d'impossibilité technique.

En me basant sur ces petit outils qui existent déjà, je vais juste m'aventurer un peu plus loin dans ma prévision de ce que sera le téléphone portable de Free Mobile ? Un simple terminal d'accès à l'internet multi-réseaux (tous les smartphones actuels en sont déjà capable) qui cherche le moyen le plus pertinent pour entrer et le met à la disposition d'une application de VOIP comme Sipdroid.
Au final, on obtient du Mobile à Mobile, gratuit et illimité ... on est très, très loin du modèle actuel des vendeurs de minutes.

On aura peut être droit à une clause de type fair use (limitation qui existe déjà pour les volumes de données) pour éviter que certains exagèrent au détriment des autres; d'autant que, pour le moment, les ressources en termes de réseau sont finies, et pas illimitées. Mais qu'importe, la grande majorité des utilisateurs aura accès à un usage nouveau, forfaitairement. Et le réseau ne pourra aller qu'en s'améliorant, comme l'a fait l'ADSL. D'autant que la VOIP n'est certainement pas le protocole le plus consommateur de bande passante.

Voilà bien une innovation de rupture dont C. Christensen prétend que c'est le meilleur moyen de créer un modèle économique où l'on sera dominant en rendant obsolète le modèle économique existant.
Free aura bien mérité, encore une fois, son surnom de trublion; plus seulement de l'internet mais aussi du mobile ...
Bientôt, j'espère

Notes

[1] Le lecteur pourra relire ces trois billets : Que va faire Free de sa licence, Les usages que Free prévoit avec sa licence et Free Mobile; ça se précise ...

[2] X. Niel, patron d'Iliad reconnait dans une interview que France Telecom (et j'ai noté qu'il ne dit jamais "Orange") est le seul de ses concurrents à se poser des questions sur l'attente des clients. Il considère les deux autres comme des suiveurs (distancés ?) et des copieurs (sans talents ?). Je dois avouer que mon avis est assez proche.

[3] SIP signifie "Session Initiation Protocol", ce qui n'éclaire pas vraiment sur les potentiels d'usages qui se cachent derrière le protocole et la technologie.

[4] D'ailleurs, c'est déjà le cas pour les mobiles au USA et au Canada.